Le pouvoir est dans la rue !
Ce slogan de Mai 1968 s’applique à merveille
au 1er mai 2012. Pour
la première fois, l’ensemble du champ sociopolitique et institutionnel occupera demain
l’espace public. En ce sens, l’instrumentalisation de cette journée symbolique, sans être inédite, atteindra sa quintessence.
Il y a près d’un quart de siècle,
le FN, tout à ses 15 % de la présidentielle de 1988, s’était emparé du 1er Mai par l’intermédiaire
de Jeanne d’Arc, oubliant opportunément que la libération d’Orléans date du 8 mai 1429. Comme chaque année, il poursuivra donc
son œuvre de détournement des
valeurs populaires.
En revanche, jamais un candidat
de la droite républicaine, de surcroît président en exercice, n’avait
organisé un rassemblement concurrent des traditionnelles manifestations syndicales. Le pouvoir légal
qu’il incarne nous avait certes
habitués à l’instrumentalisation
du passé, singulièrement celui
de la gauche.
Après avoir débuté par la lecture
de la lettre de Guy Môquet, le quinquennat s’achève par une
« fête du vrai travail », ou « vraie fête
du travail ». Outre l’acception particulière donnée au mot « travail » – j’y reviendrai mercredi –, rappelons au chef de l’État que la journée
du 1er Mai n’est pas une « fête ».
Le seul et unique homme de pouvoir
à l’avoir officiellement érigé comme
telle en France est Pétain en 1941. Lorsqu’il a été décidé, en 1947,
d’en faire un jour chômé et payé,
soin a été pris de ne pas le qualifier
de « fête ». À force de tordre
le bâton de l’histoire,
on finit parfois par le prendre
en retour comme un boomerang.
Le dernier pouvoir à occuper
la rue est le pouvoir légitime,
au sens rousseauiste : le peuple,
le monde du travail en action,
qui défilera à l’appel de ses contre-pouvoirs. C’est à eux qu’appartiennent le 1er Mai et son histoire. L’ampleur probable des manifestations en donnera
une belle illustration.
Au-delà, ce nouvel épisode de « fièvre hexagonale » rappelle une puissante spécificité de notre démocratie :
le rôle crucial de l’espace public,
de la rue et du mouvement social
dans notre vie politique. Bref, ici
moins qu’ailleurs, les rapports
de forces ne se construisent pas
que dans les urnes. Un principe
à ne pas oublier au-delà du 6 mai.
Stéphane Sirot, historien et spécialiste des mouvements sociaux à l'Humanité.